Transfert de milliers de tonnes de déchets d’Ivry à Créteil :
le SMITDUVM et SUEZ ont-ils menti à la Préfecture du Val-de-Marne ?
Un article récent de Marianne a attiré notre attention sur le transfert des déchets prévu entre l’incinérateur d’Ivry dans le périmètre du SYCTOM (Syndicat mixte Central de Traitement des Ordures Ménagères) et de Créteil dans le périmètre du SMITDUVM (Syndicat Mixte de Traitement des Déchets Urbains du Val-de-Marne). Le propos est confus et anti écologique mais il confirme bien le transfert des déchets depuis Ivry à hauteur de 45 000 T / an vers Créteil. En effet, le nouvel incinérateur d’Ivry qui doit ouvrir d’ici la fin de l’année brûlera 350 000 T de déchets alors que l’ancien en brûlait 700 000 T. En l’absence de politique ambitieuse de réduction des déchets, le SYCTOM sera obligé de transférer ces déchets vers d’autres incinérateurs et notamment celui de Créteil. Le besoin de traitement externe aux installations du SYCTOM pour compenser la baisse de capacité d’incinération est de l’ordre de 270 000 T / an.

Nous étions alertés depuis longtemps par cette opération car nous avions connaissance d’un courrier du 27 avril 2017 de Hervé Marseille, président du SYCTOM, à Axel Urgin, président du SMITDUVM pour une collaboration entre les deux syndicats qui portait sur le transfert de 100 000 tonnes de déchets vers Créteil en 2022. Nous avions publié ce document pour alerter la population et vous pouvez le retrouver ci-dessous.
Cependant, tout au long des étapes de mise en œuvre du projet de 3ème four de l’incinérateur de Créteil qui doit traiter 120 000 T de déchets supplémentaires, ce transfert n’a jamais été assumé en tant que tel, lors notamment de la concertation, de l’enquête publique et du contentieux engagé par les associations Affamons l’incinérateur de Créteil (ALIC), France Nature Environnement (FNE) et Zero Waste France. C’est pourtant un élément central de la justification du troisième four qui n’a même pas été communiqué à la Préfecture alors que celle-ci devait autoriser l’extension de l’incinérateur. La justification principale mise en avant par les défenseurs du projet (élus de Créteil, du SMITDUVM et VALOMARNE-SUEZ notamment) était le traitement de milliers de tonnes de déchets d’activité d’entreprise (DAE) pour éviter leur enfouissement.
Ainsi, l’arrêté préfectoral n° 2020/3659 du 1er décembre 2020 d’autorisation environnementale au vu des informations transmises par VALOMARNE-SUEZ, le gestionnaire de l’incinérateur de Créteil, considère que les ordures ménagères résiduelles sont déjà traitées à 93 % par l’incinération mais qu’en revanche, le Plan régional de prévention et de gestion des déchets (PRPGD) indique qu’un tiers des DAE sont enfouis en installation de stockage de déchets non dangereux à hauteur de 1,9 millions de tonnes et que les incinérer avec valorisation énergétique est préférable au regard de la hiérarchie des modes de traitement des déchets.
Sur ce point, nous avons démontré que les capacités d’incinération existantes en Île-de-France (18 incinérateurs) étaient en mesure d’absorber ces DAE et que cette justification n’était pas recevable. Malheureusement, en première instance, le tribunal administratif de Melun a débouté les associations dans une décision en date du 10 octobre 2024. Le rapporteur public dans ses conclusions les avait pourtant en partie suivie. C’est pourquoi cette décision est frappée d’appel et que nous attendons la décision de la Cour d’appel de Paris. Mais ce qui nous importe ici, c’est que le juge administratif, pour justifier le projet de 3ème four, développe longuement sur la nécessité de capacité supplémentaire pour traiter les DAE :
« Dans ces perspectives, il résulte tant de l’étude d’impact que de l’arrêté attaqué que l’augmentation des capacités d’incinération de l’UVE se concentrera essentiellement sur les DAE, qui pourront être traités à hauteur de 109 500 tonnes/an, soit dans les limites de l’augmentation de capacité prévue de 120 500 t/an. En outre, il résulte des éléments produits que les DAE pris en charge à compter de 2025 ne pourront provenir que des refus de tri, ce qui vise spécifiquement à cibler les déchets qui auraient été enfouis en l’absence de valorisation thermique. Enfin, la troisième ligne créée peut accueillir des déchets avec un PCI moyen de 2 600 kcal/kg et peut traiter des déchets jusqu’à 4 500 kcal/kg, ce qui permet d’accroître la quantité de déchets à haut PCI pouvant être traités sur l’UVE, alors que les deux lignes existantes peuvent admettre des déchets à PCI de 3 200 kcal/kg maximum. Si, il est vrai, les associations requérantes relèvent qu’en augmentant sa capacité de traitement des DAE de 109 500 tonnes/an, l’UVE se dote d’une capacité pouvant accueillir près d’un tiers de l’augmentation estimée sur l’ensemble de la région et s’il n’est pas contesté, ainsi qu’il a été dit au point 5, que le projet n’a pas analysé l’ensemble des besoins du bassin versant du l’UVE et les modalités de mutualisation à l’échelle régionale, il ne résulte pas pour autant de l’instruction que cette augmentation serait surdimensionnée par rapport aux besoins réels, en raison notamment des doutes émis dans le PRPGD sur la capacité d’absorption des DAE à fort PCI par le parc existant. »
Aussi, compte tenu de la confirmation du transfert des déchets d’Ivry à Créteil, la justification principale du projet, sur laquelle se fonde l’arrêté n° 2020/3659 du 1er décembre 2020 d’autorisation environnementale, confirmé par le tribunal administratif de Melun, tombe.
Formellement, le bureau syndical du SYCTOM a adopté à l’unanimité une délibération le 28 mars 2025 par laquelle il approuve et autorisela signature d’un marché, divisé en 4 lots, relatif à la réception et au traitement des ordures ménagères par valorisation énergétique sur des installations externes au SYCTOM. SUEZ RV Île-de-France a emporté le lot n° 2 qui concerne les communes des territoires Paris Est Marne et Bois (PEMB) et Grand Orly Seine et Bièvre pour un transfert maximum de 200 000 T sur 4 ans. On retrouve donc ici, avec une petite marge, les 45 000 T/an de déchets transférés depuis Ivry vers Créteil évoqué par l’article de Marianne.
L’arrêté n° 2020/3659 du 1er décembre 2020 d’autorisation environnementale ne prenant absolument pas en compte la réalité de ce transfert massif de déchets depuis Ivry vers Créteil pourrait être considéré comme caduc avant même la mise en service du 3ème four de l’incinérateur de Créteil prévue dans les prochaines semaines. On voit d’ailleurs ici la concomitance entre l’ouverture du nouvel incinérateur d’Ivry et la mise en route du troisième four de l’incinérateur de Créteil qui devra absorber une partie des déchets qui ne seront plus traités à Ivry.
À quel moment les habitant.e.s du Val-de-Marne et notamment de Créteil ont été informé de ce choix ?
De plus, il n’y aurait pour l’instant pas d’accord formalisé entre le SMITDUVM et le SYCTOM car le président du SMITDUVM refuse de modifier le contrat avec Suez car ce serait l occasion pour la multinationale de relever les tarifs. Il y a aussi une demande de départ des six communes du territoire du Grand Paris Paris Est Marne Bois (PEMB) du SYCTOM vers le SMITDUVM. Car in fine, toutes ces opérations de transfert des déchets conduiront à une augmentation considérable du coût de traitement pour les habitant.e.s de tout le Val-de-Marne alors qu’ils subissent déjà massivement les pollutions (dioxines, métaux lourds, PFAS …) des incinérateurs d’Ivry et de Créteil.
Nous souhaitons que la Préfecture apporte, lors de la commission de suivi du site qui se réunira le vendredi 17 octobre à l’incinérateur de Créteil, des premiers éléments de réponse aux associations et aux habitant.e.s concerné.e.s.
En tout état de cause, cette opération de transfert massif des déchets d’Ivry à Créteil est manifestement le signe d’une politique opaque de gestion des déchets vouée à l’impasse démocratique, écologique et sociale. C’est pourquoi nous proposons une véritable alternative en matière de gestion des déchets, notamment à l’occasion des élections municipales de 2026 :
NOS PROPOSITIONS…
Politique zéro déchet : il est grand temps !
– abandon du projet d’augmentation de 120 000 T des capacités de l’incinérateur de Créteil ;
– réduction massive des déchets à la source, avec la mise en place d’un programme local ambitieux de prévention des déchets ménagers et assimilés, avec en particulier la création d’un service public de la réparation et du réemploi ;
– mise en place sans délai de l’obligation légale de tri à la source des bio déchets ;
– une gestion publique (régie publique) de l’usine d’incinération pour sortir ce secteur de la logique du profit au bénéfice de SUEZ ;
– réduction progressive des capacités d’incinération des déchets à hauteur des besoins de la population avec ré-instauration d’un plafond maximum régional de déchets à incinérer avec une trajectoire obligatoire à la baisse (supprimé par Pécresse dans le Plan Régional de Prévention et de Gestion des Déchets adopté le 21 novembre 2019).
Surveillance environnementale : il y a urgence !
– contrôle de tous les polluants générés par les incinérateurs, abaissement des seuils réglementaires et contrôle continu des PFAS (polluants éternels) ;
– mise en place d’un observatoire indépendant citoyen avec des moyens financiers pour engager des expertises et mesurer les polluants environnementaux ;
– étude épidémiologique par Santé publique France dans le voisinage des incinérateurs d’Ivry et de Créteil notamment sur les occurrences de cancers.
Renforcer la sécurité du site de l’incinérateur de Créteil
– renforcement des commissions de suivi de site avec de véritables pouvoirs de contrôle sur la sécurité des sites, des moyens de formation de ses membres et de diffusion des informations aux habitant.e.s, coordination départementale entre les commissions de suivi de site ;
– augmentation des contrôles de l’inspection des installations classées (DRIEAT) et de l’inspection du travail (DRIEETS) avec de véritables sanctions pénales et administratives en cas de non respect des règles de sécurité ;
– des investissements pour améliorer les conditions de travail des salariés et la sécurité des sites, régularisation de tous les sans-papiers nombreux dans le secteur d’activité des déchets qui y interviendraient, aucun contrat précaire pour éviter les accidents du travail.
Politique énergétique : pour des alternatives écologiques
– sortir de la dépendance aux déchets pour alimenter les réseaux collectifs de chaleurs pour éviter un cercle vicieux qui conduit à ne pas engager des politiques de réduction des déchets avec un budget de prévention ambitieux ;
– développement du réseau de géothermie, compte tenu de la géologie favorable du Val-de-Marne, pour alimenter les réseaux collectifs de chaleurs.
