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« Si on ne fait rien, la justice n’est pas de notre côté » – Djeneba Sangare

Incarcéré pour un conflit de voisinage le 19 novembre 2022 à la prison de Fleury-Mérogis, Alassane Sangare est mort 5 jours plus tard dans le cadre d’une altercation avec des agents pénitentiaires. Avant toute enquête, l’administration a prétendu que c’était un suicide contre toute évidence.

Deux ans plus tard, nous rendons hommage à Alassane Sangare tué parce qu’il était noir, subissant ainsi l’ordre raciste violent et meurtrier de notre société. Nous rendons aussi hommage à sa famille, implantée à Créteil, engagée dans une bataille juridique difficile et dans un combat collectif déterminé.

Dès le début, la famille Sangare, alors qu’elle est endeuillée par la perte d’Alassane, est considérée comme une adversaire par l’administration : la prison de Fleury-Mérogis, l’Institut Médical Judiciaire, le Parquet judiciaire … La recherche de la vérité est finalement coupable pour un Etat qui couvre les violences policières et carcérales. Pourtant, l’Observatoire international des prisons rappelle que la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) impose des mesures effectives et l’inversion de la charge de la preuve quand des personnes détenues allèguent avoir subi des violences de la part de surveillants : étant donné leur situation de dépendance totale, c’est à l’administration de fournir une explication convaincante sur l’origine de leurs blessures (CEDH, 28 octobre 1998, Assenov et autres c. Bulgarie ; 17 janvier 2013, Karabet et autres c. Ukraine ; 28 septembre 2015, Grande Chambre, Bouyid c. Belgique). Il devrait évidement en être de même pour les familles.

Dans un premier temps, alors que le rapport d’autopsie transmis à la famille avec beaucoup de retard démontrait de nombreuses incohérences quant au scénario d’un suicide, le procureur de la République a refusé de poursuivre les faits. La volonté était de décourager la famille qui doit assumer des frais judiciaires importants. Mais avec le soutien en particulier de leur avocat Yassine Bouzrou, de militante comme Assa Traoré et de notre mouvement, elle a finalement obtenu la désignation d’un juge d’instruction en charge de mener une enquête indépendante.

Il faut rappeler que le 30 mai 2020, la France a été condamnée par la CEDH pour ses prisons indignes. La maison d’arrêt de Fleury-Mérogis fait partie des établissements condamnés pour violation de l’article 3 de la Convention européenne qui prohibe les traitements inhumains et dégradants.

Dans son rapport « Dignité en prison. Quelle situation deux ans après la condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l’homme ? », l’Observatoire international des prisons pointe l’inefficacité des mesures prises depuis par les pouvoirs publics pour améliorer les conditions de détention.

Au 1er octobre 2024, 79 631 personnes sont détenues dans les prisons françaises avec un taux d’occupation moyen atteignant 155 %. Dans un communiqué unitaire publié sur le site de la LDH le 31 octobre 2024, 32 organisations dénoncent notamment le fait que la politique pénale et les orientations budgétaires de l’administration pénitentiaire pour 2025 pour construire toujours plus de prisons sont aussi inefficaces qu’incompatibles avec le respect de la dignité humaine et la protection de la société.

Dans le plan national publié en 2023 de lutte contre les violences de la Direction de l’administration pénitentiaire qui dépend du ministère de la Justice, le déni est total puisque ne sont recensées que les violences contre les agent.e.s de l’administration et entre détenu.e.s. De ce fait, aucune des 100 mesures prévues dans ce plan ne vise les violences du système pénitentiaire et de ses agent.e.s contre les détenu.e.s. Pourtant la réalité émerge parfois devant les tribunaux. Ainsi, une agente pénitentiaire a été condamnée, le 29 juillet 2024, à huit mois de prison avec sursis et une interdiction d’exercer pendant deux ans pour des violences contre une personne détenue à la prison de Villefranche-sur-Saône. Ici, c’est une vidéo depuis la cellule voisine qui a permis de révéler les faits mais bien souvent les images de vidéosurveillance sont effacés avant toute exploitation.

Dans des recommandations en urgence sur la maison d’arrêt de Tarbes en juin 2024, la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté (CGLPL) fait par exemple état de multiples témoignages de « violences physiques et psychologiques commises par une équipe de surveillants identifiés » à l’encontre de personnes détenues. Une cellule spéciale de la prison a été identifiée comme le lieu où les personnes détenues étaient « régulièrement brutalisées et arbitrairement enfermées, parfois durant des heures ».

Il faut donc donner des moyens en urgence pour notamment évaluer l’ampleur du problème des violences carcérales dans les prisons françaises, former le personnel pénitentiaire aux questions des discriminations, limiter le recours à la prison qu’au cas les plus graves, s’assurer que la détention provisoire reste exceptionnel, mettre en place des mécanismes d’alerte et d’enquête efficace permettant de traiter systématiquement les signalements de violences carcérales contre les détenu.e.s, accompagner les familles de victime en mettant tous les moyens au service de la vérité et de la justice. Comme le souligne la mère d’Alassane Sangare, Mme Kadiatou Sangare, qui habite dans le quartier du Mont Mesly de Créteil : « C’est l’Etat qui doit changer sa justice ».

Nous sommes toutes et tous concerné.e.s si nos concitoyen.ne.s, nos voisin.e.s, nos ami.e.s ne peuvent plus un jour respirer à cause de leur couleur de peau, de leur origine ou de leur religion. Alors avec la famille Sangare, nous souhaitons exprimer une nouvelle fois notre solidarité contre leur violence, notre courage contre leur lâcheté, notre intelligence collective contre leur ignorance, notre engagement contre leur faiblesse. Vérité et Justice pour Alassane !

Créteil Insoumise, le 24 novembre 2024

Retrouvez les témoignages de la famille Sangare sur leur lutte dans ce podcast très riche d’Arteradio :