Avec Jaurès, contre la marche à la guerre et l’embrigadement de la jeunesse
La guerre est déjà là à nos portes sur le territoire ukrainien avec plus d’un million de victimes (centaines de milliers de morts et de blessés) suite à l’agression de l’impérialisme russe contre le peuple ukrainien. Si il apparaît nécessaire de soutenir celui-ci pour éviter un envahissement total de l’Ukraine et la mise en place d’un gouvernement pro-Poutine, il est indispensable dans le même temps de dénoncer l’engrenage militariste qui conduit à anticiper d’ores et déjà la prochaine guerre contre la Russie, dans une logique d’escalade guerrière et belliciste.
En effet, le Chef d’état-major des armées, le général Fabien Mandon, a annoncé lors du Congrès de maires le 18 novembre qu’il fallait « accepter de perdre ses enfants » pour démontrer « notre force d’âme » face au contexte géopolitique qui conduirait inéluctablement la France à entrer en guerre dans le cadre de l’OTAN contre la Russie, donc principalement au côté des États-Unis de Donald Trump qui est par ailleurs en rivalité stratégique avec la Chine.Nous refusons cette logique de bloc d’alliances mortifère.
Ainsi, le général Fabien Mandon déclare dans ce discours sur les principales menaces futures au niveau mondial – Grand Forum Après midi – 18/11/25 : Intervention du général Fabien Mandon – YouTube :
« Aujourd’hui, vous avez au Pentagone une horloge visible de tous les officiers qui servent sur place et qui décomptent tous les jours jusqu’en 2027, parce que, pour les États-Unis en 2027, la Chine s’empare de Taïwan et entre dans la confrontation. »
« Malheureusement, la Russie aujourd’hui, je le sais par les éléments auxquels j’ai accès, se prépare à une confrontation à l’horizon 2030 avec nos pays. Elle s’organise pour ça, elle se prépare à ça et elle est convaincue que son ennemi existentiel, c’est l’Otan, ce sont nos pays. »
Il précise pour la Russie la nature de la menace :
« La Russie au début du conflit en 2022, c’est moins d’un million d’hommes et de femmes sous l’uniforme. Leur projection en 2030, ce n’est pas loin de 2 millions. 40 % de son économie va à l’industrie de défense. Aujourd’hui, la Russie produit plus d’équipements de défense qu’elle n’en consomme sur le front. Elle est clairement dans une phase de préparation de quelque chose d’autre. »
En conséquence, il indique qu’il a donné « aux armées un objectif qui est d’être prêtes dans trois à quatre ans », mais qu’il a « besoin que la nation soit prête à soutenir cet effort ».
Ces déclarations s’inscrivent dans les orientations de la Revue Nationale Stratégique 2025 publiée le 14 juillet dernier qui s’agissant de la Russie évoque le même calendrier de menace :
« À l’horizon des années à venir, et d’ici 2030, la principale menace pour la France et les Européens est celle posée par le risque d’une guerre ouverte contre le cœur de l’Europe. »
Dans le même temps, Emmanuel Macron a annoncé le 27 novembre la mise en place d’un service militaire volontaire qui enrôlera principalement la jeunesse populaire de notre pays qui sera payé 800 euros par mois. Il est prévu d’engager 3 000 jeunes dès septembre 2026 pour atteindre 50 000 en 2035.
Cette accélération de l’histoire doit nous inquiéter au plus haut point et il est intéressant de revenir aux alertes qui ont précédé la Première Guerre mondiale qui a conduit à la mort plus de 9 millions de personnes. En moyenne, 900 jeunes Français mouraient chaque jour sur les champs de bataille.
Trois ans avant le déclenchement de cette boucherie entre forces impérialistes engagées dans le cadre de la compétition capitaliste, Jaurès prononce en 1911 un discours en Argentine au Théâtre de l’Odéon à Buenos Aires, intitulé « Les conséquences d’une guerre européenne et les moyens d’assurer la paix ». Il déclare :
« C’est donc une naïveté ou une farce que d’espérer que la guerre puisse assurer la paix. C’est la paix que l’on doit viser. Il est nécessaire de le comprendre, ou de tenter de le comprendre. Il est nécessaire, par une propagande incessante vers tous les peuples, de montrer quel serait aujourd’hui le danger, le désastre que représenterait, pour le vieux et le nouveau monde, pour tous les pays et toutes les classes sociales, une grande guerre européenne. Désastre économique, non seulement pour les peuples directement impliqués, pour les nations qui devraient alimenter chaque jour le monstre avide de sang et d’argent, mais aussi pour tous les peuples travailleurs de la Terre, en vertu d’une loi de solidarité économique qui est aujourd’hui plus forte que jamais. »
Déjà en 1905, s’adressant aux socialistes allemands dans son discours intitulé « La paix et le socialisme » publié dans l’Humanité et le Vorwärts (« En Avant », journal du parti social-démocrate allemand), Jaurès refusait d’accepter la fatalité de la marche à la guerre :
« Dès maintenant, si nous le voulons bien, nous pouvons réagir contre les fatalités de guerre que contient le régime capitaliste. Marx, quand il parle des premières lois anglaises qui ont réglementé la durée du travail, dit que c’est le premier réflexe conscient de la classe ouvrière contre l’oppression du capital. La guerre est, comme l’exploitation directe du travail ouvrier, une des formes du capitalisme, et le prolétariat peut engager une lutte systématique et efficace contre la guerre, comme il a entrepris une lutte systématique et efficace contre l’exploitation de la force ouvrière. Pas plus qu’il n’y a une loi d’airain du salaire qu’aucune action prolétarienne ne pourrait assouplir, pas plus qu’il n’y a un mètre d’airain de la journée ouvrière qu’aucune action prolétarienne ne pourrait réduire, il n’y a une loi d’airain de la guerre qu’aucune action prolétarienne ne pourrait fléchir. Le monde présent est ambigu et mêlé. Il n’y a en lui aucune fatalité, aucune certitude. »
C’est cette lucidité qui vaudra à Jaurès de se faire assassiner par un nationaliste le 31 juillet 1914 au Café du Croissant, trois jours avant l’entrée de la France dans la Première guerre mondiale.
C’est pourquoi aujourd’hui, nous dénonçons le vote par l’Assemblée nationale, le 10 décembre, du principe d’un nouvel effort budgétaire pour les armées alors même que l’austérité s’impose pour toutes les autres dépenses utiles et nécessaires : santé, éducation, logement, bifurcation écologique…
Un effort financier considérable a été déjà demandé au pays depuis plusieurs années. La Loi de Programmation Militaire (LPM) 2019-2025 était de 295 milliards d’euros. Cela représente une augmentation de 23% par rapport à la période 2014-2018. La LPM 2024-2030 prévoit un effort budgétaire en faveur des armées de 413 milliards d’euros d’ici à 2030, pour porter le budget annuel à 68 milliards d’euros.
La hausse prévue de 6,7 milliards d’euros des crédits des armées en 2026 est une augmentation de 3,5 milliards par rapport à la trajectoire prévue initialement prévue par la LPM 2024-2030 qui prévoyait une augmentation de 3,2 milliards en 2026. Le budget de la défense passerait donc de 50,5 milliards d’euros de dépenses hors pensions en 2025 à 57,2 milliards l’an prochain, soit 2,18 % du PIB.
Et l’on voit jour après jour que cette mauvaise pente vers toujours plus de dépenses militaires va s’accentuer. Lors du sommet 2025 de l’OTAN à La Haye, qui s’est tenu les 24 et 25 juin 2025, les 32 pays membres de l’alliance militaire, dont la France, se sont engagés à porter leurs dépenses pour la défense et la sécurité à 5% de leur PIB d’ici à 2035, dont 3,5 % aux dépenses militaires stricto sensu. 5% du PIB représenterait en France 172 milliards d’euros courants, soit plus du double de l’objectif de 68 milliards en 2030 de la LPM 2024 -2030.
La déclaration du chef de l’Otan, Mark Rutte, faite le 11 décembre dernier à Berlin enfonce le clou en enjoignant les pays européens à accélérer l’augmentation de leur dépense militaire. Il fait en ce sens une référence explicite à la Première Guerre mondiale :
« La Russie a ramené la guerre en Europe et nous devons nous préparer à une guerre telle que celle que nos grands-parents et nos arrière-grands-parents ont endurée. »
Keynote speech | OTAN Transcription
Mark Rutte pointe également la responsabilité de la Chine qui par son soutien à la Russie permettrait la poursuite de son effort de guerre contre l’Ukraine.
Il faut donc sortir en urgence de l’Otan car il n’est pas acceptable de poursuivre cette trajectoire guerrière, de financer l’industrie militaire américaine (selon l’institut Bruegel, entre 2022 et 2024, les commandes passées par les pays européens de l’OTAN à Washington ont représenté 50,7 % des dépenses d’équipement) et de suivre les aventures militaires des États-Unis partout dans le monde. Pays qui s’illustre en particulier par son soutien à la politique génocidaire d’Israël contre les palestiniens à Gaza, sa politique climaticide, son mépris pour ses vassaux européens, par sa rivalité stratégique avec la Chine et qui désormais s’attaque directement au Venezuela. Et si il est nécessaire de maintenir le soutien au peuple ukrainien, cela n’a rien à voir avec cette escalade dangereuse vers la guerre généralisée au niveau mondial. Les peuples du Soudan, du Congo, du Yémen vivent déjà dans l’enfer de guerres sanglantes qui sont alimentés par les grands pays capitalistes, principaux marchands d’armes.
A la suite de Jaurès, de retour de la conférence de Zimmerwald, qui s’est déroulée du 5 au 8 septembre 1915 en Suisse, qui réunit trente-huit délégués socialistes et syndicalistes de douze pays, opposants à la participation des partis de l’Internationale aux « unions sacrées » nationales, les syndicalistes minoritaires de la CGT, Albert Bourderon de la Fédération du Tonneau et Alphonse Merrheim de la Fédération des Métaux, lance un appel à leurs camarades qui souligne notamment les éléments suivants sur l’augmentation des crédits de guerre (à noter qu’ils se rapprochèrent ensuite progressivement de la direction de la CGT qui défendit pendant toute la guerre l’ « Union sacrée ») :
« Les dépenses totalisées de toutes les nations belligérantes atteindront alors, si elles ne le dépassent pas, le chiffre de quatorze milliards de francs par mois, c’est à dire qu’aux 180 à 200 milliards qui seront dépensé à la fin de 1915, des dizaines, des centaines d’autres milliards viendront s’ajouter. Les millions de vies humaines déjà anéanties vont s’augmenter d’autres millions d’aveugles, de fous, de mutilés, de cadavres. Dans les foyers de toutes les nations s’accroîtra le nombre des veuves et des orphelins. »
Ils diffuseront ainsi le Manifeste adopté par la conférence de Zimmerwald qui rappelait en particulier :
« Les mobiles de la guerre apparaissent dans toute leur nudité au fur et à mesure que les évènements se développent. Morceau par morceau tombe le voile par lequel a été caché à la conscience des peuples la signification de cette catastrophe mondiale.
Les capitalistes de tous les pays, qui frappent dans le sang des peuples la monnaie rouge des profits de guerre, affirment que la guerre servira à la défense de la patrie, de la démocratie, à la libération des peuples opprimés. Ils mentent. La vérité est qu’en fait ils ensevelissent, sous les foyers détruits, la liberté de leur propre peuple en même temps que l’indépendance des autres nations. De nouvelles chaînes, de nouvelles charges, voilà ce qui résultera de cette guerre, et c’est le prolétariat de tous les pays, vainqueurs et vaincus, qui devra les porter. »
C’est la fidélité à l’internationalisme d’avant guerre qui s’exprime ainsi. Dans l’adresse de sympathie adressée au monde par la conférence de Zimmerwald, cette dernière salue d’ailleurs « la mémoire du grand socialiste Jean Jaurès, première victime de la guerre, tombé en martyr de la lutte contre le chauvinisme et pour la paix ».
Sans considérer que l’histoire se répète de manière mécanique et que nos orientations pourraient se cueillir telles quelles dans le passé du mouvement ouvrier, il semble cependant essentiel de se rappeler cette histoire politique et syndicale pour construire la riposte à l’avenir guerrier que nous promet Macron.
Créteil, le 17 décembre 2025
Habsa DUMONTIER-DIARRAH – Thomas DESSALLES